Marie Astier (Reporterre)
Une nouvelle étude du professeur Séralini démontre la toxicité d’un OGM sur des vaches.
Le professeur Séralini, qui étudie depuis des années les effets à long terme des OGM, a publié un article démontrant l’augmentation de la mortalité chez des bovins nourris au maïs Bt176. Ses conclusions mettent en doute la fiabilité du système d’évaluation européen.
Gilles-Éric Séralini a publié fin janvier un article, dans la revue Scholarly Journal of Agricultural Science, qui étudie la santé de l’un des tous premiers troupeaux de vaches nourries avec des OGM. Au bout de trois ans d’une ration quotidienne de maïs Bt176, la mortalité du troupeau étudié a fortement augmenté, constate l’étude.
L’affaire remonte à 1997. À cette époque, Gottfried Glöckner dirigeait en Allemagne une exploitation de 80 hectares et de 70 vaches. Enthousiasmé par les OGM (organismes génétiquement modifiés), l’agriculteur planta du maïs Bt176, commercialisé par Novartis (devenu Syngenta). La plante produit un insecticide, c’est-à-dire une protéine toxique pour certains insectes. « J’étais très intéressé par cette technologie, je lisais les études et Novartis disait qu’il avait un très haut rendement, j’ai voulu essayer », raconte-t-il à Reporterre. Il a introduit peu à peu ce nouveau maïs dans les rations de ses vaches : 5 % en 1998, 10 % en 1999, jusqu’à 40 % en 2000. C’est à ce moment là qu’elles ont commencé à montrer des signes de mauvaise santé et à produire moins de lait. Symptôme le plus visible, une parésie, c’est-à-dire la perte de motricité d’une partie du corps. L’éleveur a noté aussi une baisse de la fertilité. En 2001, la situation s’est aggravée, cinq animaux mourant entre les mois de mai et d’août.
Des données nombreuses et collectées par un vétérinaire agréé
Durant tout ce temps, Gottfried Glöckner a fait suivre ses vaches par un vétérinaire, qui a multiplié les analyses pour tenter d’expliquer cette mortalité. Mais « aucune origine microbienne à ces problèmes n’a pu être détectée », expliquent l’agriculteur et Gilles-Éric Séralini dans leur article. Seul indice : les vaches ont des problèmes de rein, et dans une moindre mesure, de foie.
Le maïs OGM peut-il être tenu pour responsable ? C’est en tout cas la seule variable ayant changé dans la conduite de la ferme, observent le chercheur et l’éleveur. Le maïs était simplement broyé avant d’être donné aux vaches, sa toxine Bt était donc présente dans leur ration quotidienne. « Or, il a été montré dans des études récentes que ces insecticides peuvent être toxiques pour le rein et le foie », indique l’article, citant une revue des différentes études sur le sujet.
Ce maïs Bt176 semble donc « provoquer des effets toxiques à long terme sur les mammifères, ce qui ne peut être observé dans la majorité des fermes intensives car les animaux y sont très rapidement remplacés et que la nourriture contenant des OGM n’est pas identifiée par un label spécifique. […] Il faudrait donc réaliser d’autres évaluations de long terme sur la nourriture OGM pour le bétail », conclut l’article scientifique.
Car, rappelle Gilles-Éric Séralini, quasiment aucune étude de toxicité des OGM sur le long terme n’existe. C’est ce manque que tentait déjà de combler son étude sur des rats nourris aux OGM, qui avait suscité une forte polémique en 2012. Cette fois-ci, les données n’ont pas été collectées dans le but d’une étude scientifique, mais par cet agriculteur qui souhaitait comprendre l’origine de la maladie de ses vaches, nourries pendant près de trois ans aux OGM. Le chercheur souligne que ces données sont nombreuses et ont été collectées par un vétérinaire agréé. « C’est donc l’observation de plus long terme dont nous disposons à propos d’animaux de ferme nourris au maïs OGM », estime le chercheur.
« D’autres agriculteurs ont pu connaître des problèmes similaires, complète Gottfried Glökcner, mais ils n’ont pas pu identifier la cause du problème et n’ont pas fait autant d’analyses. Par ailleurs, ceux qui avaient des soupçons ont été payés par Syngenta pour se taire ! » Il a cessé de nourrir ses vaches aux OGM en 2002, et a attaqué la firme en justice. Il a perdu le procès après des années de bataille judiciaire à cause, dit-il, d’un problème de procédure. Sa ferme est désormais vendue, et l’éleveur se consacre à faire connaître son cas et à comprendre l’impact des OGM sur la santé animale et humaine. C’est ainsi qu’il a rencontré le professeur Séralini et qu’il lui a montré l’ensemble des données collectées pour le procès. Les deux hommes ont finalement rédigé un article scientifique sur l’affaire. « Désormais, mes vaches ne sont pas mortes pour rien, l’information est disponible et tout le monde peut lire cet article », se réjouit l’éleveur.
Des tests réalisés par les entreprises et classés confidentiels
Le maïs Bt176 a finalement été très peu utilisé en Europe, et n’est désormais plus commercialisé par Syngenta. Mais pour Gilles-Éric Séralini, l’affaire reste symbolique car, outre qu’elle souligne une toxicité possible, elle montre « le manque de transparence des processus d’évaluation des OGM [lors de la préparation de la demande d’autorisation] : le laboratoire avait effectué un test, mais seulement pendant quinze jours, avec quatre vaches nourries à cet OGM. » Une vache était morte pendant l’expérimentation, mais les vétérinaires ont attribué l’événement au « changement brutal d’alimentation », mettant hors de cause l’OGM. C’est sur la base de ce test que les autorités européennes ont autorisé le maïs.
Le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), dont M. Séralini préside le conseil scientifique, demande donc que soient menées des études d’au moins deux ans sur les OGM et les pesticides qu’ils contiennent avant leur autorisation, ainsi qu’une transparence sur ces études. Aujourd’hui, les tests sont réalisés par les entreprises qui demandent l’homologation de leur produit, et sont classés confidentiels.
Interrogée par Reporterre, l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa) défend son processus d’évaluation. « Les candidats doivent présenter un dossier qui contient des essais en champs, en laboratoire et en tant qu’aliment. Il est normal que ce soit les entreprises qui effectuent ces tests, car l’argent public ne devrait pas être consacré à cela », explique Claudia Paoletti, du département OGM de l’agence. Elle assure également que les éventuels conflits d’intérêts sont prévenus, par interrogation de chaque scientifique lors de son arrivée à l’agence, et également avant chaque réunion.
Quid du fait que les tests ne durent que trois mois ? « C’est suffisant pour déterminer s’il y a un problème qui nécessiterait une étude plus longue », affirme-t-elle. Quant aux comptes-rendus de l’Efsa, ils sont disponibles pour tout citoyen qui les demanderait.
« Mais les études réalisées par les entreprises, et sur lesquelles l’Efsa s’appuie, restent secrètes », regrette Corinne Lepage, présidente d’honneur du Criigen.
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Source : Marie Astier pour Reporterre