SOS paysans ! Ils n’en peuvent plus !

Date de publication: 
2016/02/24
Auteur: 

Julie Lallouët-Geffroy (Reporterre)

Trop dur, trop de pression, trop de dettes. Les suicides se multiplient chez les paysans, qui ne savent plus comment survivre dans un système qui vise à leur disparition pour installer l’agro-industrie.

 

 

« Il y a deux semaines, on a appris, pour une famille. On n’avait jamais entendu parler d’eux, raconte Bernard (prénom changé), de l’association Solidarité paysans en Ille-et-Vilaine. La dame brûlait toutes les factures. Son mari, ses frères, personne ne se doutait de rien, tout semblait aller bien. Et puis, la dame a vu paraître, dans un journal agricole, l’avis de liquidation de leur ferme. Elle s’est suicidée. » Il y aussi l’agriculteur que Bernard a vu il y a quelques jours. « Son lait n’est plus collecté, mais il ne veut pas arrêter. Il avait mis de l’argent de côté, donc pour le moment, il reste avec ses animaux,mais il ne vend plus rien. Ca ne pourra pas durer longtemps comme ça. Je ne sais pas comment il va faire. »

Des faits-divers de plus, bons pour alimenter un article en bas de page du journal ? Des histoires comme celles-là, il y en a beaucoup. Elles ne relèvent plus de l’anecdotique et d’une question de personne. La Mutualité sociale agricole (MSA) a recensé près de 500 suicides entre 2007 et 2009, soit presque un tous les deux jours pendant ces trois années. Et ça ne s’arrange pas, les numéros verts mis en place chauffent sérieusement.

De l’agriculteur au chef d’exploitation

Lors du salon de l’agroalimentaire de Rennes, le Space, en septembre dernier, trois syndicats agricoles ont manifesté aux portes du parc des expositions. Les agriculteurs, dans leur tracteur, ont observé une minute de silence pour leurs morts. Une femme est montée sur l’estrade parler de son ami qui s’est donné la mort, les yeux brillants. La minute de silence a été assourdissante : des dizaines de coups de klaxon en continu. Un mois plus tard, dans le Morbihan, 600 stèles ont été érigées pour les suicidés dans l’agriculture.

Bernard est bénévole chez Solidarité paysans, une association nationale qui vient en aide aux agriculteurs et qui lutte contre leur isolement. Elle aborde souvent les problèmes par la question financière, l’endettement. Bernard, agriculteur pendant près de 40 ans – il vient de partir à la retraite –, œuvre depuis dix ans au sein de l’association. La détresse, il connaît.

« Les gens étouffent, il y a trop de pression, ils sont assaillis de toutes parts. Un des problèmes, c’est la paperasserie : des dossiers à remplir pour tout. Ça prend beaucoup de temps et les agriculteurs, c’est d’abord la terre, pas les papiers. Et puis, vous savez, pour remplir ces demandes d’aides de la PAC [Politique agricole commune], maintenant, ça va passer par Internet. Je peux vous assurer qu’avec ça, il y en a plein qui ne sauront pas faire. On va encore en perdre en cours de route, ils ne verront jamais la couleur des aides. »

Dans les années 1960, le vocabulaire a changé : chef d’exploitation a remplacé agriculteur. Un glissement sémantique qui en dit long : la prise de risques, les responsabilités. En revanche, les avantages ne sont plus au rendez-vous : l’autonomie et la prise de décisions sont à ranger aux oubliettes. « C’est le burn out, l’épuisement au travail, explique Bernard. C’est ingérable, n’importe qui deviendrait fou avec autant de pression. » Il suffit de regarder l’endettement moyen pour s’en convaincre : plus de 150.000 euros, avec de forts écarts entre les différentes productions. Pour certains, ça va jusqu’à 300.000 euros d’endettement.

La pression vient de la terre : humidité, sécheresse, récolte, santé des animaux, vêlages difficiles. Elle vient de l’entreprise : les exigences de la laiterie, la négociation des contrats, les dossiers de demandes d’aides, les visites au centre de gestion comptable pour défiscaliser ce qu’on peut par l’achat d’un tracteur flambant neuf. La pression vient aussi du marché : la concurrence des Pays-Bas, du Brésil, garder un œil sur les cours mondiaux, écouter ce que racontent les politiques, les voisins. Il y a enfin le consommateur qui, après des histoires de vache folle, de viande de cheval, de pesticides, commence sérieusement à se méfier. De quoi avoir le tournis. « Vous savez, sur les marchés, il y a beaucoup de gens qui disent aux agriculteurs qu’ils sont des empoisonneurs, des pollueurs. C’est horrible, reprend Bernard. Un agriculteur, c’est d’abord quelqu’un qui aime la terre alors, entendre ça… quand, il y a des difficultés… c’est dur. Vous savez, ils font de leur mieux. »

Ne plus se sentir « esclaves des temps modernes » 

On calcule et recalcule les charges, les défiscalisations, les aides, les frais, les intrants. Les dernières décisions gouvernementales vont alléger la pression, mais pour combien de temps ? Pour Bernard, « dès que les prix repartiront, ça recommencera de plus belle. Les fermes se mangent les unes les autres. À ce jeu-là, au bout du compte, il ne restera pas grand monde ».

Chez les agriculteurs, on compte, on ne cause pas. Même lorsque l’on ferme la porte de chez soi. Il y a tout ce que l’on ne dit pas à cause de la pression familiale : la terre cédée est un héritage, un patrimoine dont il faut être à la hauteur. Pudeur et fierté. Le documentaire d’Édouard Bergeon Les Fils de la terre raconte cela : dans le Lot, un père qui cède la ferme à son fils mais l’endettement, le travail continu le font couler à pic. À un moment, le père prend la parole, il cherche à comprendre pourquoi son fils n’y arrive pas : « Il a pris goût à une certaine liberté, alors que nous, nous avons été esclaves toute notre vie. »

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Extrait du documentaire d’Édouard Bergeon « Les Fils de la terre ».

« Esclave », ce mot est employé par les évêques de l’Ouest dans leur appel lancé au monde agricole à la mi-février. Dans le sillon de l’encyclique du pape François, ils appellent à « une croissance par la sobriété heureuse », souhaitent que les agriculteurs puissent choisir leur modèle agricole et qu’ils ne se sentent plus « esclaves des temps modernes ». Un appel qui détonne dans le paysage breton : terre de l’agroalimentaire et de l’agriculture intensive, fleuron de la révolution verte des années 1960.

« Vous savez, quand nous, on arrive à aider un gars, c’est parce qu’il est devenu acteur, explique Bernard. C’est ça qui est le plus important, c’est qu’il ait le choix, qu’il décide lui-même de son modèle d’exploitation, de sa pratique du métier. Il n’y a pas une, mais des agricultures, il y a de la place pour tout le monde. Vous savez, aujourd’hui, parmi ceux qui s’installent, il y a en a de plus en plus qui n’ont qu’un mot à la bouche : autonomie. Autonomie par rapport aux coopératives, aux cours de la Bourse. »


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Source : Julie Lallouët-Geffroy pour Reporterre