Pourquoi Jocelyne Porcher défend l’élevage

Date de publication: 
2017/08/29
Auteur: 

LE MONDE | 24.08.2017 à 07h00 | Par Catherine Vincent (/journaliste/catherine-vincent/)

Quand l'abattoir vient à la ferme

Pour la sociologue, cesser de manger de la viande nous entraînerait vers une société sans animaux. Elle préfère promouvoir un élevage « à l’ancienne », respectueux de la relation de travail et de partenariat avec les bêtes.

LE MONDE | 24.08.2017 à 07h00 | Par Catherine Vincent (/journaliste/catherine-vincent/)

Dans le paysage très contrasté qui oppose les carnistes et les végans, Jocelyne Porcher occupe une place à part. Sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), elle mène avec son équipe de passionnants travaux sur la relation de travail qui s’instaure entre les éleveurs et leurs animaux. Avec une véritable connaissance du terrain, puisqu’elle fut un temps éleveuse de brebis dans le Sud-Ouest, avant de travailler en Bretagne dans un centre de production porcine.

Rupture anthropologique

Elle y a côtoyé la souffrance – celle des animaux comme celle des hommes – qui règne dans les élevages industriels. Et une conviction : arrêter de manger de la viande serait « la pire des choses qui pourrait nous arriver dans notre relation aux animaux ».

A l’entendre, la tendance végane actuelle – soutenue avec force par le marché des substituts aux produits animaux – nous promettrait en effet, si elle se généralisait, une rupture anthropologique.

« L’agriculture sans élevage produira une société sans bêtes, qu’il s’agisse d’animaux de ferme ou d’animaux de compagnie », soutient-elle.

Pourquoi ? Parce que la vache et le chien de compagnie ont « le même destin », celui d’un animal domestique. Or, le mouvement antispéciste s’élève contre la domestication. « Si les vaches disparaissent, les chiens de compagnie disparaîtront un jour à leur tour », affirme-t-elle, évoquant « un projet de société effrayant ». Jocelyne Porcher ne considère pas pour autant qu’il faille laisser les choses en l’état. Mais les adeptes du véganisme font à ses yeux une grave erreur en mettant sur le même plan « production animale » et « élevage » – confusion qu’elle analysait déjà dans son ouvrage Vivre avec les animaux. Une utopie pour le XXIe siècle (La Découverte, 2011).

Résister à l’industrialisation

Si elle condamne l’abattage de masse des animaux (considérés comme simples éléments des « productions animales »), qui leur inflige une terreur et une souffrance insoutenables tout en désespérant les éleveurs, elle défend au contraire avec fougue la capacité des hommes à sauver un élevage « à l’ancienne », respectueux de la relation de travail et de partenariat avec les bêtes.

C’est avec ces résistants à l’industrialisation, ceux qui vendent sur les marchés ou sur Internet, produisent dans des AMAP ou en système bio, que travaille Jocelyne Porcher. Et elle est catégorique : ces éleveurs-là font ce métier parce qu’ils veulent vivre avec les animaux, et ils entretiennent avec leurs bêtes un rapport moral.

En témoigne l’intérêt que suscite le collectif Quand l’abattoir vient à la ferme (https://abattagealternatives.wordpress.com/) , qu’elle a créé en 2015 avec Stéphane Dinard, éleveur de bovins en Dordogne. L’objectif : obtenir l’autorisation d’expérimenter sur le territoire français le principe de camions-abattoirs mobiles, se déplaçant d’une exploitation à l’autre, afin d’éviter aux bêtes le stress du transport et la violence des abattoirs industriels. Présent sur Internet, le collectif est soutenu par près d’un millier de personnes. Des éleveurs, bien sûr, mais aussi des consommateurs. Parmi lesquels, affirme la sociologue, « beaucoup de végétariens qui accepteraient de remanger de la viande dans ces conditions ».