Une maraîchère bio prépare la relève

Date de publication: 
2016/07/01
Auteur: 

Anna Villechenon - Le Monde - Ceux qui font

Jocelyne Fort et sa terre de formation - Photo et vidéos Arnold Jerocki

Jocelyne Fort ne voulait pas vendre sa ferme. Elle voulait transmettre son savoir-faire. Elle a transformé son exploitation en espace de formation pour jeunes agriculteurs.

La salade du jardin trône sur la table, à côté des fraises fraîchement cueillies. « Un peu trop sucrées pour moi », commente Jocelyne Fort en en croquant une. « Je râle tout le temps ! », se justifie-t-elle dans un éclat de rire. Puis, plus sérieuse : « Mais je pense que c’est nécessaire. » C’est ce trait d’un caractère affirmé qui a permis à la maraîchère, sur le point de prendre sa retraite, d’inventer une seconde vie pour son exploitation de 18 hectares, en la transformant en un espace de formation pour jeunes agriculteurs.

Pourtant, ce ne fut pas aussi simple qu’elle l’espérait. Car Jocelyne ne voulait pas vendre. « Un gros exploitant, qui avait 400 hectares, là-bas derrière », raconte-t-elle en pointant l’horizon, était prêt à lui racheter son domaine,qu’elle a construit en 2000 avec son compagnon, Jean-François. Une proposition balayée d’un geste par la paysanne. « Pas question de vendre mes terres à n’importe qui. Je me suis battue pour en arriver là », dit-elle, catégorique.

« Comme une voleuse »

« Là », c’est la ferme La Roustide, à Jonquières-Saint-Vincent (Gard), dont l’intégralité des fruits et légumes biologiques sont vendus directement au consommateur. Ce circuit court des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) fonctionne sur le principe du partenariat : le consommateur s’engage, plusieurs mois à l’avance, à acheter au producteur un panier chaque semaine. « Je ne voulais pas laisser tomber mes “amapiens”. S’ils n’avaient pas été là, je ne m’en serais pas sortie », explique avec pudeur Jocelyne.

Photo de Arnold Jerocki

Au début des années 2000, après des années à travailler pour des grossistes étrangers, qui vendaient l’essentiel de leur production en Suisse et en Allemagne, Jocelyne et Jean-François commencent à connaître des difficultés financières. La production bio est en plein essor, mais les consommateurs encore frileux. Ils ne peuvent pas lutter face à la concurrence de plus grosses exploitations. Seuls les légumes calibrés trouvent preneurs.« Un melon devait peser entre 750 et 900 grammes et une courgette mesurer entre 14 et 18 cm », se remémore Jocelyne. Les légumes qui ne rentrent pas dans les clous partent à la broyeuse, et avec, une partie du chiffre d’affaires. Une aberration : « A quoi ça sert de faire ce métier si c’est pour jeter ? »

« Je nourris les gens »

Le couple se déclare en cessation de paiement en août 2005 et demande un redressement judiciaire. Deux mois plus tard, Jocelyne se retrouve au tribunal de grande instance de Nîmes. « C’était un moment très difficile. J’avais 50 ans, j’avais travaillé toute ma vie et je me retrouvais comme une voleuse, devant une juge », se remémore-t-elle, encore émue. Son plan : se reconvertir en AMAP, une idée soufflée par un fournisseur quelques mois auparavant. « J’ai convaincu la juge sans savoir exactement ce que c’était », sourit-elle. Il ne lui a fallu que quelques mois pour savoir qu’elle avait fait le bon choix. Aujourd’hui, Jocelyne « nourrit » chaque semaine 250 familles, qui lui ont fait confiance et dont la plupart sont devenus des amies.

Photo de Arnold Jerocki

Il y a quatre ans, la maraîchère a commencé à aspirer à une vie un peu plus tranquille. Elle qui intervenait déjà dans les écoles pour faire connaître son métier suit alors une formation sur la transmission. C’est le déclic. Jocelyne veut transmettre, s’assurer qu’une autre génération va prendre la relève et faire perdurerun métier qui, selon elle, se perd. Tout autour, dans la région, l’agricultrice a vu les exploitations de maraîchage se réduire comme peau de chagrin. Jocelyne se définit comme une « terrienne. Je nourris les gens. Et je me bats parce que, si on ne forme pas de nouveaux paysans, à part les industriels, qui les nourrira dans dix ans ? »

« A 3 ans, dans les champs »

Elle se met alors en quête d’un repreneur prêt à conserver la certification bio, mais aussi ses amapiens. En parallèle, elle achète dans les Cévennes une maison pour y créer des chambres d’étape et 2 hectares de terres qu’elle compte cultiver avec son compagnon. Mais pendant trois ans, elle ne trouve aucun candidat sérieux à la reprise de l’exploitation parmi les jeunes en reconversion professionnelle qui sortent de formation agricole. Selon elle, ils n’étaient pas prêts : « A l’école, on informe, c’est sur le terrain qu’on se forme. » Fille d’agriculteurs, Jocelyne a tout appris auprès de ses parents. « A 3 ans, on est dans les champs, à 15, on fait les marchés. Un enfant de paysan, il sait faire. »

Une nouvelle fois, la maraîchère doit rebondir. Elle prend conscience que si elle veut transmettre à un jeune agriculteur son exploitation, elle doit le former. A la fin de 2015, Jocelyne entrevoit la solution avec la couveuse agricole Coup d’pousses – dont elle est vice-présidente – qui lui propose de faire de La Roustide une terre de formation en y installant plusieurs apprentis paysans, sous la direction de Laurent, le chef des cultures… celui-là même à l’origine de l’idée de l’AMAP. L’objectif pour ces futurs maraîchers : apprendre un savoir-faire en un à trois ans et lancer leur propre affaire.

Mais pour mettre en œuvre ce projet, Coup d’pousses avait besoin d’argent, notamment pour lui racheter son matériel agricole. Ce sont ses amapiens qui ont une fois de plus répondu présent, sous forme de prêts et de dons à l’association, complétés par une collecte en ligne. Au début de juin, un premier « couvé » est arrivé à La Roustide. Il sera bientôt suivi par cinq autres. Quant à Jocelyne, elle prépare ses valises. Le départ pour les Cévennes est prévu la semaine prochaine.

 

Texte Anna Villechenon

Photo et vidéos Arnold Jerocki

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