2007 Journée de rencontre Teïkei et AMAP

La délégation japonaise était constituée de 4 représentantes des coopératives de consommateurs : Chiabi NISHIBUN (SEIKATSU Club), Satomi MIYATAKA (GREENCOOP), Kazuyo ONUMA (KIRARI) et Mishiyo KOKETSU (Union de consommateurs du Japon), ainsi que Namiko ONO (militante pour la campagne de protestation contre les OGM d’ampleur internationale « No ! GMO Campaign ») et Ryoko SHIMIZU (Institut de recherche politique pour la section citoyenne). Kolin Kobayashi faisait l’interprétariat.

La rencontre s’est articulée autour de la présentation du fonctionnement des coopératives de consommateurs au Japon, au gré de 3 exposés, suivie d’un débat entre la délégation japonaise et la trentaine de producteurs et consomm’acteurs engagés en AMAP présents lors de cette rencontre. zLes AMAP, ou des systèmes de consommations similaires, c'est-à-dire impliquant un lien plus ou moins direct et étroit entre les producteurs et les consommateurs, existent à ce jour dans une trentaine de pays. En France, le concept a été mis en place en 2001 au sein de l’exploitation agricole maraîchère et fruitière du couple VUILLON (les Olivades), sur la base des Community Supporting Agriculture existant aux Etats-Unis. Grâce à de nombreux échanges régionaux puis nationaux, mais aussi à la mobilisation de consommateurs motivés et militants, et de producteurs expérimentés, une dynamique s’est enclenchée dans toute la France avec un développement exponentiel du nombre d’AMAP.

Début 2007, quelques 500 AMAP existent en France, ce qui a permis à ce jour le maintien, voire la création de 900 fermes. Plus de 100 000 consommateurs achètent ainsi à l’avance et en direct toutes les productions fermières existantes (fruits, légumes, œufs, volailles, viandes, fromages…) ! Les AMAP sont des structures associatives, parfois associations déclarées loi 1901, regroupant au maximum quelques centaines d’adhérents, selon le nombre de paniers qui peuvent être produits par une seule ferme. Les exploitations agricoles engagées en AMAP doivent respecter une charte d’agriculture paysanne, c'est-à-dire s’engager à produire de la façon la plus propre et durable possible des denrées alimentaires diversifiées, de bonne qualité gustative et sanitaire, sur le territoire de consommation, avec une vente directe (sans aucun intermédiaire) des produits aux familles de consommateurs. Les adhérents sont liés au producteur par un contrat d’achat à l’avance et en direct des produits de la ferme.

Au Japon, le concept d’AMAP tel que nous l’entendons n’existe pas, puisque dans ce pays les liens entre consommateurs et producteurs sont d’une autre forme… et d’une autre échelle. Après la seconde guerre mondiale, le Japon se retrouve sous tutelle américaine, et s’engage dans une industrialisation et une urbanisation galopantes. Le pays se redresse économiquement de la guerre, et devient l’une des grandes puissances mondiales, mais en contrepartie, des problèmes de pollution majeurs apparaissent. Dans les années 50 et 60, de grands scandales se font jour, notamment la pollution par le mercure du golfe de Mina-Mata au sud de l’archipel japonais, avec l’apparition de problèmes de santé pour les consommateurs des produits de la mer prélevés dans cette zone, ou encore la contamination du lait de vache à l’arsenic. C’est ce 2ème scandale, interpellant viscéralement les mères de famille, qui fût à l’origine des 1ères Teïkeis, crées il y a plus de 35 ans. Il s’agissait, pour ces femmes, de se regrouper pour acheter en direct du lait à des producteurs proches, dont les exploitations étaient exemptes de contamination à l’arsenic. En parallèle, le milieu scolaire et universitaire créait de son côté des coopératives de consommateurs visant à acheter en direct à des producteurs locaux des denrées alimentaires de bonne qualité sanitaire. Le développement de villes nouvelles entraînait aussi la création d’autres coopératives de consommateurs pour l’approvisionnement en toutes les denrées, alimentaires ou autres, nécessaires au quotidien des familles. La législation japonaise a permis l’éclosion et le développement de ces coopératives de consommateurs, les structures associatives du type loi 1901 française n’existant pas, alors que l’urbanisation effrénée et la démographie du Japon leur conféraient une taille souvent colossale. Les « petites » coop. de consommateurs regroupent plus d’un millier d’adhésions, et les plus grosses plus de 300 000 adhésions (à multiplier par le nombre de personnes par foyer, puisque une adhésion = un foyer) !!! Dans tous les cas, la législation japonaise impose à ces coop. une assise régionale, puisque leur territoire d’adhésion est régional, ainsi que leur territoire de fourniture en denrées. En théorie, du moins à l’origine, les achats de denrées concernent donc des productions locales. En réalité, l’approvisionnement est souvent élargi, notamment lorsque les denrées recherchées ne sont pas produites sur le territoire de la coop. de consommateurs. A ce jour, environ 16 millions de consommateurs japonais adhèrent à des coopératives de consommateurs. Au delà d’un discours de façade parfois similaire, on observe une grande diversité dans ces structures. Certaines coop. visent uniquement à obtenir des produits aux prix les plus bas possibles, sans priorité sur la qualité ou le mode de production : le pouvoir d’achat est un énorme problème au Japon. On pourrait comparer ces structures au stade de gros traditionnel que nous connaissons, en imaginant un grossiste revendant ses achats en direct, et en priorité, à des consommateurs adhérents. D’autres coop. de consommateurs, représentées par la délégation japonaise reçue le 15 avril aux Olivades, développent une politique complètement différentes. GREENCOOP, KIRARI et le SEIKATSU Club sont des regroupements de coopératives de consommateurs ayant chacun leur assise régionale, avec une taille gigantesque, puisque chacune de ses structures représente entre 100 000 et 360 000 adhésions !S’agissant de regroupements, on trouve en leur sein des coopératives de consommateurs plus ou moins grosses, spécifiques et anciennes (exemples : coop. d’étudiants et personnel scolaire, coop. crée à l’origine pour approvisionner une ville nouvelle, etc.). Chaque coop. de consommateurs garde son mode de fonctionnement et ses spécificités, mais le regroupement en union de coop. permet une meilleure organisation logistique et plus de représentativité, avec une politique commune. Chacun de ses regroupements présente sa propre charte et ses propres cahiers des charges internes, avec des exigences similaires : recherche de l’autosuffisance alimentaire, de la limitation de la pollution, de la qualité sanitaire et gustative des produits. Ceci conduit à une priorité donnée à l’approvisionnement local, à la traçabilité directe des produits entre les producteurs et les coop., à l’enregistrement et la mise à disposition des pratiques techniques des producteurs au sein des coop. La priorité dans les contrats entre les coop. et les producteurs est souvent donnée aux petites exploitations agricoles biologiques, ou tout au moins réalisant un travail traditionnel, respectant une certaine biodiversité des variétés ou conservation des races locales, et utilisant le moins d’intrants possible (engrais, produits de traitements...). L’utilisation de semences ou d’aliments du bétail OGM est totalement exclue. Certaines coop. vont encore plus loin, en imposant des taux de résidus de pesticides dans les aliments 10 fois inférieurs à la législation japonaise, en interdisant les radiations ionisantes, et surtout, elles se dotent de moyens financiers et humains pour vérifier le respect de leurs cahiers des charges internes. Pour permettre le lien entre les producteurs et les consommateurs, les coop. organisent des rencontres et visites sur le terrain, des exposés sur le mode de production des denrées alimentaires, des ateliers cuisine pour donner le goût aux produits sains et frais… Les producteurs sont invités à s’impliquer pour donner leur avis et faire évoluer les cahiers des charges internes de chaque regroupement de coop. de consommateurs. Le militantisme écologique de ces structures s’illustre par la création de leurs propres usines avec embouteillage du lait dans des flacons de verre consignés, la participation à des campagnes nationales de limitation de la consommation de détergents ou encore l’opposition aux OGM. Ces mêmes regroupements se caractérisent aussi par des préoccupations sociales constantes qui les conduisent à créer leurs propres crèches, maisons de retraites proches des familles, systèmes d’assurance mutualiste et conseils personnalisés à la gestion pour les familles, ou encore à contractualiser en commerce équitable avec des producteurs non japonais de bananes, huile d’olive, café, etc… Leur taille leur permet aussi d’avoir un impact pour orienter les politiques sociales au niveau local. En terme d’organisation, les regroupements de coopératives sont gérés par leurs consommateurs adhérents, qui sont invités à se mobiliser pour leur bon fonctionnement. Concrètement, les coopératives sont en majorité constituées, et gérées, par des mêres de famille. Du fait de la taille de ces regroupements, on est cependant loin du bénévolat, et de la logistique minimale, des AMAP françaises. Chaque regroupement se base sur un système informatique de pointe. Des catalogues, regroupant tous les produits proposés à l’achat sont édités régulièrement. On y trouve fruits, légumes, céréales, lait, viandes et produits transformés à partir de ces denrées, parfois des produits de la mer… voire quelques détergents et vêtements produits de façon plus écologique. Les adhérents aux coop. formulent leur commande, qui leur est distribuée à domicile. Dans certaines coop., il existe également des boutiques de distribution des produits. La gestion des achats, la centralisation et la distribution des produits est gérée par les salariés des coop., qui sont la plupart du temps des salariées, consommatrices adhérentes aux coop., qui ont été formées et ont trouvé un travail au sein de leur structure. De même, pour créer et contrôler leurs cahiers des charges, faire le lien avec les producteurs fournisseurs, mais aussi s’occuper des crèches et structures d’accueil des seniors, les regroupements forment et salarient de nombreuses consommatrices adhérentes. Ils emploient en moyenne 100 salariés… Le fonctionnement et le niveau d’exigence de ces regroupements de consommateurs représente, bien entendu, un surcoût par rapport aux produits « basiques » du marché. Ce surcoût atteint couramment 20 à 25 %.... Pour faire une comparaison avec les AMAP, il est évident qu’il n’existe pas de lien direct et humain entre une ferme et un groupe de familles consommatrices. Les producteurs peuvent contractualiser avec les coop. de consommateurs, mais pas forcément pour écouler toute leur production, sans avance en trésorerie ni solidarité en cas de calamité agricole. Il arrive aussi que les coop. de consommateurs passent leurs commandes auprès de la récente coop. de producteurs nationale, auquel cas, le lien est encore plus indirect.

En fait, tous les cas de figure existent, depuis ces commandes à échelle nationale, jusqu’à des partenariats étroits et pérennes avec de petits producteurs (locaux, ou en commerce équitable). Par rapport aux AMAP, on se rapproche des règles classiques du commerce, avec cependant de fortes exigences en terme de qualité des produits et durabilité du mode de production. zEn résumé, les regroupements de coop. de consommateurs que nous ont présentés ces militantes japonaises du « bien consommer » sont sans commune mesure avec nos AMAP françaises. Des centaines de milliers de consommateurs sont regroupés au sein d’une seule structure. Les achats groupés portent sur une gamme très large de produits alimentaires, voire d’autres denrées. Ils répondent à des chartes internes à chaque groupement, toujours plus exigeants que la réglementation sur l’environnement, la traçabilité, la sécurité sanitaire et la qualité gustative des produits. L’autosuffisance alimentaire est une préoccupation prioritaire. Les groupements contractualisent avec plusieurs agriculteurs, en priorité locaux, puis nationaux ou ciblés en commerce équitable pour les autres pays. Un gros effort de pédagogie auprès des adhérents est fait pour leur faire comprendre les contraintes, les spécificités et les impacts de la production des aliments, pour créer un lien avec les producteurs et donner le goût de la consommation des produits de saison. De plus, les groupements de coop. de consommateurs réalisent également des actions sociales directes auprès des plus jeunes comme des plus vieux, et représentent aussi des contre-pouvoirs civiques d’importance représentative. Ce système présente de nombreux avantages, mais nécessite un niveau d’organisation en terme de logistique très performant, et de forts surcoûts. Il faut souhaiter que ces regroupements permettront, comme ils le souhaitent, à travers la mise en place d'une économie sociale et solidaire à l'échelle du partenariat producteur/consommateurs, le maintien au Japon d’exploitations agricoles diversifiées, respectueuses de l’environnement et de la qualité des produits.

Bilan de la journée de rencontre dimanche 15 avril, à l’AMAP des Olivades à Ollioules
Claire Dhardivillé, comité AMAP « Le Bio-jardin de Virginie », 20 230 SANTA LUCIA DI MORIANI