2000 - Quand l'AMAP s'appelait encore AMA

LA GAZETTE DES JARDINS /JANVIER 2000 /27 - Le bug du Jardin des Délices

On attendait le bug pour la Saint Sylvestre, il devait être informatique et on a eu la tempête, phénomène dit naturel au lendemain de Noël. Ce changement de millenium (et non millénaire) mouvementé nous pose de vrais problèmes qu’il faudrait commencer à avoir le courage de regarder en face.
La responsabilité des hommes dans la marée noire due au naufrage de l’Erika est évidente, et chacun peut en faire l’analyse, désigner les responsables ; aux “Politiques” et à la Justice de fairele nécessaire pour éviter que cela se reproduise et faire payer la remise en état des lieux par les pollueurs.
La responsabilité des hommes dans la tempête semble moins évidente mais, aux dires d’experts, ces phénomènes climatologiques n’ont rien de naturel : ils viendraient du réchauffement de la planète qui lui est dû à l’homme. Il est vrai que notre vieille Terre en a connu des vertes et des pas mûres depuis sa lointaine origine.
Mais si des vagues successives de réchauffement et de refroidissement ont jalonné son histoire, cela s’est produit avec des fréquences de plusieurs millions d’années. L’originalité du phénomène d’aujourd’hui, c’est qu’il est dû à des causes qui ont un demi-siècle d’existence. L’augmentation très brutale de la température de la planète a pour raison essentielle une surconsommation d’énergie.
La liste des catastrophes, ces dernières années, est longue : sang contaminé, vache folle, inondations, tempêtes, marée noire… Alors, ne devrions-nous pas profiter de ce renouveau de l’an 2000 pour mettre en cause notre mode de vie?
La démarche doit être individuelle car il serait trop facile de dire “Mais que font nos gouvernements ?” ou “Je me remettrai en cause si tout le monde le fait”!
La planète est en danger et, avec elle, vous et moi. Le sang contaminé a tué des milliers d’innocents, la vache folle des dizaines (et ce n’est qu’un début) et la tempête 74 en trois jours. Derrière ces drames, une seule cause : le profit. Et comment ce profit est-il possible? Par notre consommation aveugle. Alors, ouvrons grands nos yeux, regardons droit dans les cieux notre belle planète, en commençant par notre environnement le plus proche.
A la maison, au bureau, au lieu de vivre en chemise ou T-shirt, à une température de 24 °C, on peut mettre un pull de laine, faire descendre le thermostat à 18 ou 19 °C et vivre tout aussi confortablement. Ces 5 à 6 °C économisés sont énormes sur le plan énergétique. On se passe aussi très facilement de climatisation dans les habitations, les bureaux, les voitures. Alors que 1999 a été l’année de la voiture, il paraît complètement ringard de se poser des questions sur cette extraordinaire folie humaine. Et pourtant, il le faudrait : 7000 à 8000 tués sur les routes par an, autant d’invalides, pollutio n mesurée et constatée dans les villes… A table également, la priorité donnée aux produits de proximité et de saison amènerait une sacrée économie d’énergie : production, transport et distribution.
La prise en compte du devenir de notre Terre saute aux yeux lorsque l’on regarde nos enfants, nos petits enfants, nos arrières petits enfants.
Quelle planète leur réservons-nous? Que faire pour être sûrs qu’ils vont vivre et grandir dans un univers le plus beau possible? Que faire pour qu’ils puissent accéder à une nourriture de qualité, respectueuse de leur santé et de la santé de la Terre? Ne devons-nous pas, dès maintenant, nous en occuper? Oui et il est grand temps de le faire.
L’avenir de la planète est entre nos mains
Dans le domaine de mes compétences, et après 30 ans de loyaux services à l’agriculture et d’attachement démesuré à mon terroir, je me pose, comme vous, beaucoup de questions. Ma vie professionnelle a connu des passions différentes :
- Lors de la première décade, et dans la fougue de la jeunesse, le syndicalisme me paraissait être le moyen de préserver, protéger et développer notre agriculture méditerranéenne.
- Dans la deuxième décade, l’organisation économique de l’agriculture m’a semblé être une réponse appropriée à un monde sans cesse en mouvement, pour assurer la survie de notre agriculture.
- Durant la troisième décade, les excès du productivisme m’ont amené à développer, au moins à titre personnel, une agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement, dans le cadre d’une forte biodiversité et la recherche du meilleur goût et de la meilleure qualité nutritive. Dans le même temps, ce terroir consciencieusement entretenu est passé d’une zone agricole en une zone périurbaine avec tous les avantages et les inconvénients (plus proche des consommateurs, mais plus convoité pour d’autres activités).
Au travers de mon parcours, je m’aperçois qu’aucune piste n’a permis de pérenniser l’agriculture : en région PACA, le nombre d’entreprises agricoles a diminué d’un tiers ces dernières années, passant de 45000 à 30000 exploitations. On doit imaginer malgré tout, pour économiser l’énergie et pour sauvegarder notre terroir, des modes de fonctionnement différents de ceux d’aujourd’hui. Si nous considérons comme prioritaire le maintien d’espaces productifs de proximité proposant les produits sains et gustatifs nécessaires à notre alimentation, sur la base de techniques qui enrichissent la terre au lieu de l’appauvrir, en consommant le moins d’énergie possible, alors nous devons, d’une part sauvegarder les terres agricoles (1/3 de la surface en région PACA, soit 900000 ha sur 3000000 ha) et, d’autre part, inventer des fonctionnements économiques nouveaux.
A l’heure actuelle, quand vous avez besoin de fruits et légumes pour votre consommation, vous allez les acheter dans une grande surface (80 % du tonnage passe par la grande distribution). Vous ignorez pratiquement tout du produit que vous acquérez : son origine, qui l’a fait pousser, sur quel terroir, suivant quelles techniques, le prix payé au producteur, ses qualités nutritives, l’éventuelle existence de résidus de pesticides… De la même façon, le producteur ne sait pas qui va consommer son produit, à quel prix, ni ce que précisément ce consommateur recherche. Dans ce système, incontestablement, les ficelles sont tirées par les intermédiaires entre producteurs et consommateurs.
Un fonctionnement différent c’est possible Imaginons qu’un certain nombre de consommateurs décide la chose suivante : pour nous, la priorité est la traçabilité (un mot très en vogue aujourd’hui), nous souhaitons trouver un producteur qui nous produise des fruits et légumes sains, gustatifs, de saison, sur un terroir de qualité méticuleusement entretenu. Nous souhaitons tout connaître de ce que nous mangeons, mais aussi de là où ça pousse et de comment ça pousse. En contrepartie, en début d’année, nous donnons à notre producteur une somme d’argent correspondant à notre adhésion dont le montant est calculé pour recevoir un panier hebdomadaire des produits de l’exploitation. L’avantage pour le producteur est d’être payé avant de produire, de savoir qu’il vend tout ce qu’il produit, restant ainsi en dehors de la spirale infernale des prix du marché, de connaître personnellement le consommateur de ses productions.
Utopie me direz-vous! Peut-être! Mais, savezvous que cela, qui s’est exactement passé au Japon au début des années soixante, fonctionne toujours aujourd’hui? Savez-vous que cela existe même en Europe, en Suisse, Allemagne et Hollande? Savez-vous que ce système est également implanté aux Etats-Unis? Eh oui, sur cette terre si décriée où José Bové a fait un tabac avec ses 240 kg de Roquefort (à Seattle), il existe 1000 C.S.A. (Community Supported Agriculture) dont 70 implantés dans l’état de New-York. Au travers de son C.S.A., une famille new-yorkaise, en plus de produits de très grande qualité, garde une relation avec la nature.
En effet, des fermiers joignent à leur panier hebdomadaire une lettre d’information sur la ferme ; ce qui s’est passé dans la semaine, le travail, le temps, les problèmes qui expliquent éventuellement pourquoi telle production manque ou au contraire est en excès. A partir de là naissent même des mouvements de solidarité où les excédents de production sont distribués gratuitement aux personnes nécessiteuses (et il y en a beaucoup dans ce pays). A partir de là naissent aussi des mouvements d’entraide à la ferme où les citadins vont participer à certains travaux aux champs. On s’aperçoit que les fermes évoluent et se développent en augmentant leurs activités pour répondre aux demandes des citadins (accueil de classes vertes, ouverture d’ateliers de transformation, développement de nouvelles productions). Et, chaque fois, cela passe par une augmentation du nombre des personnes travaillant à la ferme (création d’emplois).
Et pourquoi pas nous ?
En France, la loi d’orientation agricole adoptée au niveau national prévoit la mise en place de contrats territoriaux d’exploitation (C.T.E.). Il s’agit d’un contrat signé entre l’Etat et un agriculteur qui s’engage à respecter un cahier des charges visant à faire prendre en compte, grâce à une aide financière directe et pluriannuelle, la multifonctionnalité de l’agriculture avec deux volets : Economie sociale et durabilité. Le cahier des charges indique :
- renforcement de l’organisation économique,
- amélioration de la gestion qualitative de l’eau,
- préservation de la biodiversité,
- gestion du paysage et protection du patrimoine naturel (notamment gestion durable de la forêt paysanne),
- préventions des risques naturels,
- valorisation qualitative des produits…
Si certains de ces objectifs se rapprochent de ceux des C.S.A. américains, une différence énorme existe pourtant quant au fonctionnement : il est basé pour les C.T.E. sur le financement de l’exploitation par l’état, mais que devient la ferme au terme de cette aide? La pérennité des C.S.A. Est assurée, elle, par la volonté des consommateurs, sans aucune aide de l’état.
Espérons que cette ère nouvelle verra naître en France des Associations pour le Maintien de l’Agriculture (A.M.A.) où consommateurs et producteurs définiront de nouvelles règles les responsabilisant les uns vis-à-vis des autres. Espérons aussi que les politiciens suivront et encourageront comme il se doit ces initiatives locales. Pourquoi ne pas envisager la première A.M.A. entre les lecteurs de La Gazette et le Jardin des Olivades (mon jardin des délices) qu’ils ont soutenu par centaines lors de l’enquête publique concernant le projet de tramway de l’aire toulonnaise : 600 signatures déposées auprès des Commissaires enquêteurs, bravo et grand merci!
Le bug de l’an 2000 peut être aussi celui du passage du Jardin des Délices à la Ferme des Délices ou, plus généralement, la confiance retrouvée entre la ville et la campagne.
Daniel Vuillon
Si mon projet vous intéresse, n’hésitez pas à m’écrire au Jardin des Olivades, 257 chemin de la petite garenne, 83190 Ollioules